Témoignage de Hanaé lors de la rencontre à l'Hôpital Bichat....
J’aimerais
pouvoir dire simplement « Pierre va me manquer » comme si
c’était nouveau…mais il me manque déjà depuis trop longtemps.
Je sais que je suis loin d’être la seule dans ce cas, que tous
ceux qui ont croisé sa route ont partagé ce sentiment de révolte
face à sa maladie, et partagent aujourd’hui ce sentiment que le
monde a perdu quelqu’un d’infiniment précieux, d’une bonté
rare.
Ses
collègues de Bichat ont connu sa générosité, sa gentillesse
légendaire, ils ont peut-être moins connu le Pierrot que j’ai
rencontré en prépa,
terriblement drôle, espiègle, faisant des
blagues parfois très cyniques mais qu’il disait dans un petit rire
étouffé, comme s’il était lui-même surpris de l’énormité
qu’il venait de sortir, comme pour dire « regarde c’est
horrible mais hé ça ne vient pas de moi, c’est le monde qui est
comme ça, alors autant le dénoncer et en rire ».
Un faux
cynique en fait, sans aucune méchanceté, avec un regard
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2002 soirée intégration hypokhâgne |
toujours
tendre sur le monde et les autres.
Je crois que c’était ça son
ingrédient secret,
ce qui le rendait si particulier, si
irrémédiablement aimable : il allait à la rencontre du mondeavec sa petite démarche sautillante, mine de rien, prêt à
l’embrasser tout entier sans aucune naïveté mais avec malgré
tout la plus grande bienveillance.
Lorsqu’il
est retombé malade j’ai d’abord tenté d’étouffer mes
souvenirs, trop forts, trop doux, des instants trop parfaits, puis à
force d’essayer d’accepter son silence forcé, j’ai presque
fini par oublier son rire, sa démarche, ses intonations. Aujourd’hui
je laisse revenir tous ces moments, tous ses accents de joie ou de
colère, je me nourris du souvenir de son honnêteté totale avec les
autres et avec lui-même, de sa manière d’être là, entièrement,
et de nous ancrer dans le présent avec lui à chaque instant.
Il
me manque depuis des années, à chaque café, à chaque soirée, à
chaque concert, à chaque plan galère de déménagement de copains,
à chaque jeu de mots à la noix, à chaque fois que je vois
quelqu’un sortir une machine à rouler, à chaque fois que
j’entends parler de quelqu’un qui a oublié sa valise dans le
train, à chaque fois que je croise un mec qui s’est laissé
convaincre par sa coiffeuse que le noir bleuté ça lui irait trop
bien…
Maintenant
qu’il a cessé de souffrir, et même si je trouve parfois le monde
insupportablement hypocrite de faire semblant comme ça de tourner
encore rond alors qu’il n’est plus là, je continue à sortir, à
retrouver nos amis, à voir des petits groupes de reggae qui mettent
une ambiance de folie, et je l’imagine quelque part dans la foule,
pas loin, à mes côtés, chantant, dansant, s’amusant à nouveau,
parce que c’est ce qu’il aimait et parce que je ne sais pas
comment lui dire mieux « Tu es toujours là, avec nous, viens,
tu seras mon passager clandestin et je t’emmènerai partout vivre
la vie dont tu as été privé ».
Hanaé - 3 juillet 2014
Rencontre à Bichat
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