ZZZZ...Je pense..(ça m'arrive) ZZZZZ..





"J'aime bien le paradis pour son climat, mais je préfère l'enfer pour ses fréquentations -Oscar Wilde--"


Mais à la réflexion, cette citation pourrait être archivée dans la rubrique "Insousciante jeunesse"...


Comme un défi, j'aimais bien reproduire cette citation sur le tableau noir du Café des Cinéastes ... à coté de la place de Clichy...
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samedi 17 août 2013

Jeux de main



Depuis un mois, comme cela avait été mentionné précédemment, Pierre a retrouvé une mobilité du cote droit notamment de son bras et de sa main.

A ce titre il participe aux soins qui luis sont prodigués ou en déployant une mobilité pour accompagner l'habillage quant ce ne sont pas des gestes de confort 'main sous la tête ou pour indiquer soif d, pb de déglutition.
Ce qui est particulierement troublant, c'est cette main qui est prete à saisir une autre main, à la retenir et par des pressions, exprimer et faire « entendre sa présence » Et cette main qui retient et qui ne rend la main qu'avec regret en traînant les doigts...

C'est dans ces instants qu'un article dans le Nouvel Obs qui dans tout autre contexte, évoque de manière très émouvante « un échange » qui passe par une main....et pose les mêmes questions, les mêmes interrogations, les mêmes émotions..

Mais laissons la place à l'article du Nouvel Obs......et à l'émotion


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Survivre à l’attentat

Murakami rend visite à une jeune femme, victime de l'attentat, qui présente des séquelles irrémédiables. Il raconte cette entrevue, de manière lumineuse et simple....  

Extraits …..

Jour de décembre venteux
L’automne s’est lentement dissipé. J’ai commencé à pré­parer ce livre en décembre dernier. Ça fait déjà un an. Shizuko Akashi est la seizième victime que j’interroge, bien que, contrairement à tous les autres, elle ne puisse expri­mer ses pensées.
Je ne peux divulguer ni le nom ni l’adresse de l’hôpital de Shizuko.
« Shizuko » et « Tatsuo Akashi » sont des pseudonymes, conformément aux souhaits de la famille.
Tatsuo (son frère)pousse lentement le fau­teuil roulant de Shizuko jusqu’à la salle de détente. Elle est petite, les cheveux courts. Elle ressemble à son frère. Elle a un joli teint, les yeux un peu voilés comme si elle venait de se réveiller.

Sans le tube dans son nez, elle n’aurait sans doute pas l’air handicapée..

Ses yeux ne sont pas vraiment ouverts, mais il y a en eux une lueur - au fond des pupilles -, une lueur qui m’a entraîné, au-delà de son aspect externe, jusqu’à quelque chose en elle qui ne souffrait pas.

«Hello!», je dis. «Hello!», répond Shizuko, même si ça sonne plutôt comme « ehh-uoh ».

Je me présente brièvement, aidé par son frère. Shizuko hoche la tête. On l’a prévenue de ma visite.

« Demandez-lui ce que vous vou­lez!» suggère Tatsuo.

Je suis perdu. Qu’est-ce que je pourrais bien dire? [...]

Je demande à Shizuko :« Est-ce que vous pouvez bouger un peu votre main droite pour moi?» Elle lève sa main droite. Je suis certain qu’elle essaie, mais les doigts ne bougent qu’avec une extrême lenteur; ils se serrent et se déplient patiemment.

«Est-ce que vous voulez bien tenter de me tenir la main ?-O-eh [OK]. »

Je place quatre doigts dans la paume de sa main, à peine plus grande qu’une main d’enfant, et ses doigts se referment lentement sur les miens, aussi doucement que les pétales d’une fleur qui s’endort. Des doigts doux, pulpeux, et pourtant bien plus forts que je ne l’aurais cru.

Bientôt ils serrent ma main comme un gamin envoyé faire une course s’accroche à 1’« objet important » qu’il ne doit pas perdre.

On est là en présence d’une volonté très forte et clairement tournée vers un objectif. Concentrée, mais proba­blement pas sur moi : Shizuko recherche un «autre» au-delà de moi.

Quelque chose en elle doit tenter de sortir.
 
Je le sens.

Quelque chose de pré­cieux, qui n’arrive pas à trouver com­ment émerger. Même si ce n’est que temporaire, Shizuko a perdu le pou­voir et les moyens de permettre à cette chose de faire surface.

Pourtant, celle- ci existe, intacte, saine, entre les murs de son espace intérieur.

Quand Shi­zuko tient la main de quelqu’un, elle ne peut rien faire de plus pour que l’on comprenne que « cette chose est là ».

Elle tient ma main très longtemps, jusqu’à ce que je dise : « Merci. »

Alors seulement, l’un après l’autre, ses doigts s’ouvrent.

« Jamais Shizuko ne dit “mal" ou “fatiguée”, m’a confié Tatsuo en me reconduisant. Elle a des séances de rééducation quotidiennes - des bras et des jambes, du langage, et d’autres thérapies avec des spécialistes. Rien de tout ça n’est facile. C’est même dur. Mais quand le médecin ou les infir­mières lui demandent si elle est fati­guée, elle n’a répondu “oui” que trois fois. Trois fois. C’est pourquoi, comme l’admettent tous ceux qui prennent soin d’elle, elle a fait autant de pro­grès. De l’inconscience sous respira­teur artificiel jusqu’à la parole, c’est comme l’émergence d’un rêve. »

Je pense à demander à Shizuko: « Qu’aimeriez-vous faire quand vous serez rétablie?» «Aeh-ehh », dit-elle.

Je ne comprends pas. « “Voyager”, peut-être ? suggère Tatsuo après une seconde de réflexion.

- Oui, approuve Shizuko en hochant la tête.

En lui rendant visite à l’hôpital, ce soir-là, j’avais voulu encourager Shi­zuko - mais comment? J’avais pensé que c’était à moi d’en décider, mais cela n’a pas du tout été le cas. Il était même inutile de songer à l’encoura­ger. En fin de compte, c’est elle qui m’a encouragé.

En rédigeant ce livre, j’ai réfléchi très sérieusement à la Grande Ques­tion : qu’est-ce que ça signifie, être en vie? Si j’étais à la place de Shi­zuko, aurais-je la volonté de vivre aussi pleinement qu’elle? Aurais-je ce courage, cette persévérance, cette détermination? Pourrais-je tenir la main de quelqu’un avec une telle chaleur et une telle force? L’amour des autres me sauverait-il? Je n’en sais rien. Pour être honnête, je n’en suis vraiment pas certain.

Dans le monde entier, les gens se tournent vers la religion pour leur salut. Quand la religion blesse et handicape, vers quoi peut-on se tourner pour son salut ? En parlant à Shizuko, j’ai tenté de regarder dans ses yeux, de temps à autre. Que voyait-elle? Qu’est-ce qui éclairait ces yeux? Si elle se rétablit suffisam­ment pour réussir à parler sans entrave, c’est ce que j’aimerais lui demander : « Le jour où je suis venu vous rendre visite, qu’avez-vous vu? » Ce jour est encore loin. Avant viendra Disneyland.


© Editions Belfond, 2013, pour l’édition française.
Le Nouvel Ohservateur2A janvier 2013 - N° 2516

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2 commentaires:

  1. Petit coucou à Pierre, très contente d'apprendre cette nouvelle et merci pour ce très joli post !
    Murakami est un écrivain que j'apprécie aussi, simple, sensible et juste...
    Je t'embrasse en attendant les prochaines nouvelles. Prends soin de toi.

    Aurélie R. (Nancy)

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  2. Merçi Aurélie....Une petite pensée pour la place Stan...
    Bisous

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